5.5/10Les Chevaliers de Baphomet III - Le manuscrit de Voynich - Test

/ Critique - écrit par gyzmo, le 25/09/2006
Notre verdict : 5.5/10 - Lifting détraqué (Fiche technique)

Lire le test des Chevaliers de Baphomet III.

Six longues années. Tel est le laps de temps qu'il aura fallu à Revolution Software pour fignoler la suite des aventures de George Stobbart, l'Américain préféré de la majorité des passionnées de jeux d'aventure. Les raisons de ce délai ? Une ou deux idées de la part du directeur Charles Cecil, à savoir : une refonte totale de l'aspect artistique et la mise en retraite anticipée du gameplay original. Une reconceptualisation qui aurait pu ragaillardir ceux qui croient à l'évolution salutaire des expérimentations... mais qui a fini d'apeurer les nostalgiques de 2D traditionnelle et du style point'n click. Snif ! Je ne vais pas chercher à m'étendre sur le divan pour vous raconter tout le mal que je pense du Manuscrit de Voynich. Freud sait pourtant combien cela me soulagerait de vous peindre avec virulence le portrait de ce troisième épisode (ô combien pensé avec les pieds !). Tâchons d'y aller avec modération, distance et humour, ne serait-ce que par respect pour ce bon vieux George.

Un orage éclate en plein ciel. Le crash d'un avion dans la jungle congolaise survient. Le vieux coucou est au bord d'un précipice sans fond, l'alcoolique de pilote dans les vapes. Il va falloir faire fonctionner ses méninges et ses muscles pour se sortir de cette impasse. Qu'à cela ne tienne ! Un grand blond en petite tenue d'Indiana Jones compose justement l'équipage light de ce zinc. Il se nomme George Stobbart et devait expertiser le brevet d'un scientifique, retiré au milieu de nulle part. Tant pis, le rendez-vous attendra... Au même moment, dans un appartement parisien, un jeune informaticien grassouillet et boutonneux se fait assassiner par le magnum d'une belle usurpatrice à la silhouette svelte. Pas de chance pour la journaliste Nicole Collard, cet individu - comme par hasard sur le point de lui révéler un terrible secret - était son rencard de quatre heure. Encore un article de gâcher et une nouvelle affaire à élucider. Il lui faudra sûrement un peu d'aides.

L'Attaque des Clones


La transposition tridimensionnelle d'un héros issu du monde de la 2D traditionnelle n'est pas toujours une évidence à réaliser, surtout lorsque personnages et environnements ainsi convertis possèdent à l'origine une identité graphique forte. Par exemple, je ne pense pas être le seul à dire que le charmant George Stobbart n'a jamais été un très beau gosse doté d'attributs athlétiques évidents. Cette impression venait du fait que le sympathique américain - ou l'ensemble de ses acolytes - était dessiné d'une manière un peu caricaturale, avec des traits faciaux légèrement exagérés et un corps nonchalant glissé dans des fringues pépères ou du moins, loin d'être ceux d'une fashion victim.

Hormis le doublage voix - énorme bouée de sauvetage fidèle aux précédents épisodes et toujours aussi excellemment interprété, en mutant vers la 3D, le Manuscrit de Voynich a gommé l'esthétisme qui faisait l'une des particularités majeures des premiers épisodes. Désormais, Nicole se farde d'un corps de bimbo, seins siliconées et fesses dansantes. George affiche une jolie petite musculature sous des habits moulants et la mèche rebelle du jeune premier. Lobineau s'est même fait une nouvelle coloration de cheveux pour l'occasion. Ma main, mes frusques et ma crinière à couper que derrière tous ces remodelages se cachent les scalpels de Troy / McNamara, l'aiguille de Paco Rabanne et le ciseau de Franck Provost. Tout ce joli staff sous acides, bien entendu... A moins que le casting ne soit passé du côté obscur du Réalisme et de ses superficialités ? C'est probablement cela, en fait. L'objectif du démiurge Cecil a sans doute été de faire de sa troisième aventure une version interactive plus proche d'une oeuvre cinématographique (avec une narratologie maîtrisée) que d'un dessin animé. Il n'est pas le premier (ni le dernier) à aller dans ce sens. Toujours est-il que ce relookage des apparences, aussi moderne et in soit-il, perturbe l'aficionado et n'arrive pas à convaincre, faute à un manque de naturel, dans les formes calibrées comme dans les mouvements un tantinet rêches.


Le sentiment de clonage raté ne s'arrête pas aux protagonistes principaux. Il contamine de façon extrême les différents figurants qui composent chaque faction du jeu. De la sorte, il n'est pas rare de tomber sur de nombreux personnages annexes qui se ressemblent comme deux gouttes d'eau. Initiative flippante ou grotesque, nous sommes en droit de nous demander s'il n'y aurait pas eu du jemenfoutisme dans le laboratoire de ces messieurs les apprentis sorciers au moment de la fabrication de toutes ces créatures ? Quant aux décors, malgré les modélisations agréables et les textures pleines de couleurs (entre le photo réalisme et le dessin animé), ce n'est pas supertinent de relever que l'ensemble des endroits parcourus sont désertiques... quand il n'y a pas des dizaines de caisses pour combler les espaces. Cependant, c'est un fait : la beauté et la finesse graphique des compositions picturales d'antan se sont faites bouffer par une imagerie high-tech, certes avant-gardiste (pour l'époque), mais plus froide et déshumanisée. Les lieux notoires, tels que l'appartement de Nicole et la place de Montfaucon, en sont la meilleure illustration : une reconstitution, plus ou moins calquée sur les lieux déjà visités dans le premier opus, dont la troisième dimension - qui lève néanmoins le voile du hors champ - n'atteint jamais le degré émotionnel de ses référents. Grandes et pâles copies, en d'autres termes.

Retour vers le Futur

Persuadé du bien-fondé de son initiative, Charles Cecil était allé jusqu'à dire que son Manuscrit de Voynich proclamerait la mort du point'n click. Bon... Oké... Mais pourquoi vouloir enterrer un genre qui fonctionne encore et au profit de quoi exactement ? Un gameplay révolutionnaire ? Mouais... Un tel projet aurait pu être compréhensible s'il recelait au moins en lui un soupçon d'ingéniosité. Malheureusement, le prétendu gameplay novateur de Cecil s'apparente plus à du post-apocalyptique qu'à une vision utopique enfin aboutie. A se demander si le système a été testé par ses concepteurs... Pour sûr, avec le Manuscrit de Voynich, exit les clics et mouvements de souris. Et si en face vous n'avez pas un joystick, vous devrez vous contenter d'un clavier solitaire : touches directionnelles pour se mouvoir ; touches Z, D, S, Q pour actionner les multiples fonctions que sont examiner, parler, écouter aux portes (accessoire inutile), combiner et utiliser les objets, gravir ou descendre murs et échelles, pousser ou tirer caisses et blocs de pierre.

Aaaah ! Les caisses et les blocs de pierre ! Si vous êtes dingo de l'antique jeu de puzzle Sokoban (1980), vous allez vous ré-ga-ler... bien que cela soit moins casse-tête dans Voynich, la finalité de ces « épreuves » étant d'atteindre des endroits inaccessibles. Pas étonnant alors que George ait été doté d'une nouvelle musculature à la vue des nombreuses séquences de déménagement qui l'attendent au tournant. Peu passionnant, limite ennuyeux, pour être franc. Compléter ces exercices physiques par un peu beaucoup de gymnastique (courses, escalades, saute-mouton) et l'on se retrouve aux frontières d'un jeu se voulant également d'action, mais sans l'adrénaline si chère au genre. Quoique... Les concepteurs ont tout de même bourré le soft de Quick Time Event. Inaugurés par le rpg Shenmue (1999), ces évènements plus ou moins stressants invitent le joueur à actionner rapidement une touche du clavier (ou un bouton de joystick) dès qu'une alerte visuelle apparaît à l'écran. Le challenge - en apparence concret - n'est pas bien élevé dès le second essai, étant donné que la touche sur laquelle appuyer reste la même d'un rechargement de sauvegarde à l'autre. Il suffit donc de laisser son doigt sur la touche correspondante pour passer les QTE sans réels problèmes. Cependant, cela se corse un peu lorsque l'on doit en même temps diriger ses personnages avec les touches directionnelles (déboussolage tributaire des changements d'angle de caméra oblige).

En ce qui concerne les inhabituelles phases d'infiltration, elles sont presque toutes injouables à cause d'une carence de visibilité (dérisoire pour un jeu exploitant l'univers tridimensionnel), couplée qui plus est d'un gameplay peu intuitif (foutues caméras !). Noter bien qu'il n'est pas permis de zapper un dialogue ou une cinématique. Cela devient parfois gonflant pour celui qui n'arrive à dépasser un obstacle qu'après plusieurs tentatives. Aux côtés de toutes ces mauvaises surprises, il reste tout de même de l'esprit d'origine des énigmes sporadiques. Elles ne brillent pas par leur originalité, ni par leur résistance. Des points lumineux apparaissent à l'écran lorsque votre héros s'approche d'endroits scriptés avec lesquels interagir. Le joueur est donc assisté. Ah ! Ca valait le coup de mettre à mort le point'n click (ses clics et son balayage manuel) pour jouer à une variante simplifiée d'un jeu des années 80 mixée avec des phases d'action qui n'arrivent pas à la cheville d'un Combat School (1987), hein ?

Quels sont les avantages à se lancer dans une telle séquelle, alors ? Déjà, mon opinion ne prêche pas la Bonne Parole. Ce n'est pas parce que je n'ai pas adhéré à la pensée de Cecil que celle-ci est forcément abominable. Elle ne correspond tout simplement pas à mes envies de joueurs et mes espérances de retrouver un George tel que je l'ai aimé précédemment. Ensuite, la curiosité est le meilleur vecteur qui soit pour inciter les réfractaires à entrer dans la danse de cette suite qui, par certains côtés, s'inscrit tout de même dans la logique de la saga. Outre les initiatives artistiques malhabiles, les bugs d'affichage et un gameplay épouvantable, je ne peux pas dire que l'histoire soit inintéressante, encore que le scénario fonce un peu dans tous les sens, avec un final assez hallucinant, voire halluciné (qui a dit ridicule ?). De multiples rebondissements font référence avec adresse au scénario de l'Ombre des Templiers (ceux qui n'y ont pas joué risque d'être un peu largué... indépendamment des succincts résumés et illustrations disponibles dans les Extras du jeu). Les réflexions détachées et sarcastiques de George, sa relation rigolote avec Nico et les clins d'oeil explicites (ah ! ces curieux objets de l'inventaire !) aux opus antérieurs font pencher la partie du bon côté de la balance, aidés de thèmes musicaux encore une fois bien adaptés à l'ambiance générale... à défaut d'un agaçant déficit côté bruitages. Enfin, il faut admettre qu'une franchise ne peut pas squatter sur ses acquis, qu'elle se doit d'évoluer avec les techniques de son présent afin d'échafauder les possibles rouages ludiques à venir. Peut-être trop désireux d'élargir sa popularité auprès des joueurs de consoles (business is business, après tout), sans doute trop motivé par l'envie de changer radicalement les choses (en l'absence de transitions douces et virtuoses), le Manuscrit de Voynich n'est pas le tournant supposé dans l'Histoire des jeux d'aventure. Le flop partiel éprouvé par le soft est la meilleure réponse offerte par une certaine communauté de joueurs qui refuse de soutenir ce genre d'initiatives inadaptées à leur envie. Heureusement pour nous, l'ingénieux Charles Cecil semble être revenu de son égarement, conscient de la brutalité avec laquelle il a pris de court les adeptes de Baphomet. Un autre bon point pour la franchise, en définitive.