7.5/10Divinity 2 : Ego Draconis - Test

/ Critique - écrit par gyzmo, le 10/11/2009
Notre verdict : 7.5/10 - After Divinity ? (Fiche technique)

Tags : divinity dragon draconis test ego rpg quetes

S'il ne figurera peut-être pas dans les annales du jeu de rôle teinté de hack'n slash, le dernier né de Larian Studios,  à n'en pas douter, vient d'ouvrir une nouvelle voie...

Au temps où la 2D isométrique était le fer de lance du jeu de rôle sur PC, Divine Divinity (2002) et son spin-off Beyond Divinity (2004) des belges de Larian Studios avaient lancé le pari de rassembler autour d’un gigantesque banquet les aventuriers stratèges de Baldur’s Gate (1998) et les adorateurs brut de décoffrage de Diablo (1997). Une rencontre des plus audacieuses sur le papier… mais pas des plus novatrices comme en témoignent les Icewind Dale (2000) de feu l’incontournable Ile Noire, ou le méconnu mais tout aussi remarquable Nox (2000) de Westwood. En bref, et avant que nos moutons ne partent battre la campagne, l’assemblage du JdR pur et du hack’n slash dur au sein de Divine Divinity eut pour effet de laisser dans son sillage un souvenir historique : celui d’un parfait équilibre entre deux jeux et univers, pas si éloignés l’un de l’autre, en fin de compte. Et c’est ainsi que les Divinity, à juste titre, furent hissées au rang qui leur incombait, sans pour autant faire vaciller le trône de ses deux principales références. Depuis cette consécration amplement méritée, les vastes Terres de l'Action RPG en ont vu de belles choses. Et des beaucoup moins bonnes. En nombre et en force, pour ces dernières. Mais si seule la 2D isométrique, si chère au genre, s’est faite détrônée par l’imposante troisième dimension, aucun prétendant n’a encore balayé des plus anciennes (et nostalgiques ?) mémoires la première place occupée par les Baldur’s Gate ou par le légendaire Diablo. Puis, un jour d’automne, l’ombre majestueuse d’un Dragon fonda sur ces rois, avec l’idée chevaleresque d’un possible coup d’état…


…et puis plouf fait le coup puissant lorsqu’il frappe la surface de l’eau. Car malgré toutes les qualités du second épisode d’une franchise qui en fait en totalise à ce jour trois (oO), Divinity 2 : Ego Draconis chute à seulement quelques mètres du titre convoité de Successeur. Pour une poignée de raisons. La première, pas des plus primordiales, est l’absence du cycle jour/nuit, système ô combien prisé et déterminant pour non seulement varier les ambiances, orchestrer des rencontres inédites, mais surtout pour construire un monde vivant dans lequel des quêtes différent selon le couche-tard ou le lève-tôt. Par ricochet, s’ajoute à cet emploi du temps uniquement diurne quelques quêtes rigolottes face à une armada d'autres dites « va chercher, Médor, et rapporte ! ». Dans celles-ci, répétitives,  la notion d’alignement bon/mauvais est sommaire, sans incidences majeures sur le déroulement de l’histoire et les rapports liés avec les principaux personnages… même si de nombreux choix moraux sont proposés au joueur.

Enfin, vient l’aspect graphique inégal de l’ensemble du titre. Outre certaines ambiances environnementales (oppressantes au fond des grottes, étouffantes près des vapeurs de pierres en fusion, rafraichissantes face aux cascades d’eau) et autres réalisations architecturales colossales (les Tours de Guerre, les sculptures et bâtiments digne d’un Seigneur des Anneaux façon Alan Lee ou Weta Limited), les extérieurs bucoliques n’ont pas bénéficié d’une attention aussi soignée. Textures fades, modélisations à l’arrache et manque évident de variétés font penser que les concepteurs de Ego Draconis ont décidément un problème avec le monde pourtant si inspirant du végétal – mais difficile à rendre à l’écran. Ceci étant dit, n’oublions pas que même à l’époque de la 2D isométrique, les deux premiers opus de Divinity avaient une empreinte visuelle plus proche de la charmante mocheté d’Arcanum (2001) que des somptueux décors de Shadows of Amn (2000). L'alchimie, plus axée sur le contenu que le contenant, avait pourtant enchanté ceux qui s'y étaient essayés. Evidemment, les paysages de Divinity 2 sont loin d’être désagréables à parcourir (rendu HDR efficace) et n’ont pas à rougir de l’actuelle concurrence, carrément moins à l’aise et virtuose dans ce domaine (cf. Dragon Age : Origins). Quant aux personnages, au design tout à fait réussi et bariolé – reconnaissons à leurs démiurges un sens du ridicule plaisant, quoiqu’un tantinet lourdaud. C’est bien simple : les animateurs de chez Larian Studios usent et abusent dans toute sa splendeur de la théâtralité. Durant les conversations, les protagonistes gesticulent, se pavanent, brassent du vent, à la folie, passionnément, comme s’ils étaient en train de surjouer une pièce de Molière. Sous acide. Ce parti pris ne dépaysera pas les connaisseurs de la franchise, hantée depuis ses débuts par le loufoque,  le décalé et le non-sens.

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Ce qui nous amène, tout naturellement, à évoquer les bons côtés de Divinity 2 : Ego Draconis. Par ses nombreux clins d’œil à débusquer (aux Monty Python ; aux frères Grimm ; à Lara Croft…), pour ses dialogues et répliques hallucinés et le caractère détraqué de leurs interlocuteurs – la plupart du temps schizophrènes, l’humour occupe une position d’envergure. Les auteurs de Larian Studios ne se prennent jamais la tête, évitent l'écueil de la parodie bouffonne. Ils restent ainsi fidèles à leur esprit bon-enfant, tout comme ils sont restés attaché à leur coutumière volonté de mélanger les genres. En voici la recette : l’œil expérimenté du JdR, par l’entremise d’une personnification de son héros libre (un ranger peut à tout moment choisir de bifurquer vers les voies de la magie ou de la guerre)  mais peu diverses en matière de sorts et de compétences ; les restes encore fumants du terrible hack’n slash, avec sa petite flopée d’ennemis à l’intelligence artificielle peu évoluée, sa course à la puissance suprême et aux artefacts les plus rares (inaltérables et aux noms tout à fait ridicules) ; le jus de crâne du jeu de gestion, à travers la Tour de Guerre, lieu de repos où le Chevalier Dragon entrepose ses objets, perfectionne ses compétences auprès de Maîtres, envoie ses récolteurs chercher diverses fournitures pour les futures confections d’enchantement, s'amuse au Docteur Frankenstein avec l'assemblage  de ses monstres alliés (aux réflexes canins !!!)... et bien d'autres choses encore ; l’apesanteur et la furie du shoot them up ou du simulateur de vol, grâce à la transformation en Dragon, dans la peau épaisse duquel notre héros peut se glisser (uniquement à l’air libre), afin d’affronter ses ennemis volants ou d’accéder à des zones de jeu inaccessibles à pieds.

Ces deux derniers ingrédients, évolutifs eux-aussi, apportent un réel souffle nouveau au genre. Ils ne s’ajoutent à l’aventure qu’au terme d’une avancée significative dans la trame principale, ce qui laisse le temps au joueur de se familiariser avec les nombreuses possibilités du titre. A ce propos, l’évolution des événements est parfaitement dosée. Pas de temps morts dans le rythme de progression. Les différents espaces de jeu sont grands, relativement libres d’exploration. Suffisamment, en tout cas, pour que chaque foulée soit l’occasion d’une rencontre, d’une embuscade ou d’une surprise. Les quêtes majeures, secondaires ou cachées s’amoncellent avec une rapidité de dingue. Dommage qu’entre les quêtes principales et secondaires mélangées, l’arbre des compétences inesthétique ou la carte du monde avare en renseignement et impossible à affiner correctement, les menus alloués à la gérance de cet ensemble n’aient pas été mieux pensés. D’ailleurs, en parlant de « pensées », le dernier petit plus grisant de Divinity 2 : Ego Draconis réside dans l’opportunité offerte aux joueurs de sonder l’âme de ses interlocuteurs. Dans quel but ? Hé bien au-delà du plaisir de tomber sur de tordantes intentions, ce pouvoir dit « anticipation » (équivalent des classiques Intimidation et Persuasion) permet de déceler des secrets introuvables autrement, tels qu’un objet caché, une quête annexe, une information essentielle ou des points de compétences supplémentaires. Cette aptitude a cependant un prix : le sacrifice de l’expérience emmagasinée. Rétribution logique et originale, censée établir un certain dilemme quant à son emploi (ou pas)… mais qui, malheureusement, et hormis en début timide de partie, ne se pose plus jamais au fil de l’histoire tant les gains d’xp et la montée de niveaux se font à tour de bras... en dépit de l'absence - salutaire - du classico-énervant respawn des ennemis. 

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Le long et mouvementé périple de la quête principale, les nombreuses missions annexes et leurs irrémédiables aller/retour, les mystères et succès secrets à dépister dans des beaux et grands décors – à défaut d'être entièrement ouvert (mais bien plus qu'un The Witcher), les détails à zyeuter aux quatre coins de ce monde où rien n'est laissé au hasard font que la durée de vie de  Divinity 2 : Ego Draconis peut tenir en haleine plus d'une cinquantaine d'heures quiconque désire tout connaitre de Rivellon. Les divers scénarii et le solide background formant ce lieu tourmenté  – sur fond d'histoire d'amour et de trahison, sont plutôt bien agencés et nerveux pour un jeu de ce style. Ils parviennent même à se détacher des poncifs du genre,  semant le trouble, brouillant le manichéisme, à grands renforts de fantaisie. Le tout, soutenu par un gameplay intuitif - aussi bien en bipède qu'en dragon. De quoi faire oublier le challenge inconstant du titre qui lorgne tantôt vers l'affrontement ridicule (zéro dégât causé sur votre personnage par des adversaires un ou deux niveaux moins costauds que nous) et – revers de médaille oblige, les combats pénibles, voire insurmontables (pour peu que l'on soit deux ou trois niveaux moins robustes que ses ennemis). Mais globalement, le dernier né de Larian Studios fait partie des bonnes surprises de l'année 2009. Et s'il ne figurera peut-être pas dans les annales du jeu de rôle teinté de hack'n slash, à n'en pas douter, ce soft précurseur et original vient d'ouvrir une nouvelle voie qui, espérons-le, inspirera les  prochaines productions des concepteurs videoludiques.