6/10Dreamfall: The Longest Journey - Test

/ Critique - écrit par gyzmo, le 14/05/2006
Notre verdict : 6/10 - Falling down (Fiche technique)

Tags : dreamfall aventure journey longest chapters xbox test

Lire le test de Dreamfall.

En 2219 les grands équilibres géopolitiques de notre monde, Stark, ont été bouleversés. Face à une Afrique enfin émergente, les grandes puissances occidentales, affaiblies, se sont repliées sur elles-mêmes. Les innovations technologiques, mêlant le plus souvent clonage et informatique, rythment la vie de cet univers technologique. Mais la réalité s'arrête-t-elle à ce qui est visible ? Zoé Castillo est la victime de visions étranges où apparaît un monde fantastique, fait de magie et de civilisations oubliées. Rêves ou réalité ? Zoé doit-elle croire la police quand celle-ci fait un lien entre la disparition de son ex-petit ami et le meurtre d'une femme inconnue ?

Depuis fin 1999

Trois histoires, trois personnages, un destin...
Trois histoires, trois personnages, un destin...
Inutile de revenir sur ses qualités, de nombreuses phrases dithyrambiques ont auparavant noirci la chronique de
The Longest Journey, premier opus de ce qui s'annonce sans doute comme une franchise pleine de promesses... scénaristiquement du moins. Sachez tout de même qu'il aura fallu six années à l'équipe du norvégien Ragnar Tornquist pour imaginer une suite aux aventures mouvementées d'April Ryan, jeune femme capable de voyager entre les mondes jumeaux que sont Stark et Arcadia. Cette fois-ci, notre petite franchisseuse devenue désabusée par l'humanité se voit reléguée au second plan puisque c'est Zoé Castillo, une belle casablancaise un peu paumée, qui lui pique la vedette, aidée du ténébreux Kian, Apôtre d'un peuple un tantinet hégémonique.

Barbie, Ken and co au pays des Legos

Il n'est pas rare d'entendre que lorsqu'un décor 2D est adapté en 3D temps réel, inévitablement (et parce que la technique ne le permet pas encore), il ne gagne en fait qu'une dimension supplémentaire au détriment de sa beauté originelle. Profitons de cette observation somme toute classique pour l'appliquer à notre chronique. En effet, même si certains choix de couleurs et modélisations de Dreamfall sont remarquables, les environnements sont loin d'atteindre la finesse poétique des paysages à-plat de The Longest Journey. Les textures sont par moment grossières et baveuses (murailles de Marcuruia), les architectures trop anguleuses et peu détaillées, les effets atmosphériques timides lorsqu'ils ne sont pas statiques, et la végétation... fffiou... la végétation... un brouillon barbouillé à la va-vite ? Cela me déchire le coeur de vous dresser avec de si vilains mots un tel portrait car certaines ambiances et lumières de Dreamfall touchent du doigt le vertige émotionnel. Mais voilà : techniquement, je ne suis pas certain que l'équipe de Tornquist avait les épaules (ou les moyens nécessaires ?) pour perdre leur joli univers dans une troisième dimension.

Zoé Castillo pausant devant la devanture de sa maison de Casablanca
Zoé Castillo pausant devant la
devanture de sa maison de Casablanca
Et les personnages ? Relèvent-ils le niveau ? Dans The Longest Journey, ils étaient déjà réalisés en 3D de belle facture (designs beaux et variés, attitudes belles et complexes). Dans Dreamfall, ils sont presque aussi réussis... mais pas assez pour rivaliser avec les standards actuels du genre. Vous allez vraiment croire que je m'acharne, mais encore une fois, j'ai été frappé par la pauvreté expressive de l'ensemble des personnages. Par rapport aux héros bluffants de Fahrenheit, sorti six mois plus tôt, le gouffre esthétique est énorme. Cela devient même inquiétant quand le générique de fin annonce sans complexe que les animateurs ont utilisé la motion capture pour donner vie à leurs créatures... Moi, à leur place, je n'aurai rien dit. En fait, soit les préposés à cette technologie ne savaient pas où brancher les capteurs de mouvements sur le corps des acteurs servant de modèle comportemental, soit ces derniers venaient d'une planète sur laquelle la pression atmosphérique n'est pas la même que sur la notre... Du pas de course au repos, tout le monde dans Dreamfall se déplace comme si une fraise avait été placée entre les fesses de chacun. Quelques fois, les attitudes paraissent naturelles tout en se contentant d'être des "pauses". D'autres fois - et le plus souvent - elles rappellent les mouvements crispés et engoncés d'un Robocop. Quant aux expressions faciales, je vous assure qu'il m'a fallu un moment pour en rire plutôt que de continuer à en pleurer... et de peur. Les visages, aussi mignons soient-ils, sont très figés, presque autant que ceux qu'affichent les poupées de cire : yeux grands ouverts, limite globuleux par moment, regards plongés dans le vide et incapable de capter l'interlocuteur, déplacements des lèvres timides, voire inexistants pendant les dialogues. En somme, si deux ou trois personnages échappent à cette désagréable impression, le reste du casting n'a pas bénéficié d'un travail pointilleux et les personnalités ne parviennent à transparaître autrement que grâce aux doubleurs voix, pour le coup, toujours aussi inspirés.

Play-Back & Loading

Dreamfall est jouable en français et en anglais (avec sous-titres intégrés). D'une version à l'autre, le casting voix ne souffre d'aucune imperfection et c'est d'autant plus important que les dialogues - moins touffus que dans The Longest Journey - sont légions sans être trop bavards. Petite précision tout de même : vous aurez parfois le choix entre plusieurs répliques possibles au cours de certaines conversations. Mais quelle que soit votre sélection, le déroulement de l'histoire n'en sera aucunement influencée et retombera toujours sur ses pattes. Une belle arnaque, en quelque sorte... A ce sujet, le joueur impatient peut se contenter de sélectionner les répliques ne concernant que la trame principale. Cela dit, il serait dommage de zapper les monologues dépeignant l'évolution de l'univers ambiant depuis le long voyage d'Apryl Ryan. De plus, les racontars sont toujours teintés d'humour et d'absurde, surtout lorsque ce sont les célèbres protagonistes du premier opus qui refont surface après dix années d'errance pour donner de leur joyeuse nouvelle... et les surprises sont de taille à décrocher de grands sourires chez les visiteurs nostalgiques de l'ancienne Arcadia.

Apryl Ryan à la cueillette aux informations de son devenir
Apryl Ryan à la cueillette aux
informations de son devenir
Cependant, les paroles bien ficelées et la réussite du doublage ne me font pas oublier de vous signaler que les enchaînements d'un dialogue à l'autre au cours d'une discussion sont ponctuellement coupés par du silence. Pour vous faire une idée de ma remarque, vous n'avez qu'à imaginer une altercation emportée dans laquelle deux personnages se gueulent dessus de toute leur force... et vous ajoutez entre chacune de leurs répliques bien tranchantes un blanc silencieux de quelques secondes. De quoi dénaturer l'intensité et le timing d'une conversation, vous l'aurez compris. L'immersion se retrouve parasitée... jusque dans la bande musicale qui, aux côtés des majoritaires très belles partitions, fait entendre des morceaux discrets mais énervants (toutes les musiques illustrant les scènes de grottes) dans lesquels une note continue et aiguë fait vriller les tympans. Choix étrange que celui-là. Et puisqu'on est dans le domaine de la mauvaise fluidité, laissez-moi vous prévenir d'un autre problème intempestif : les zones à visiter étant relativement petites, les messages de téléchargement (ces fameux « Loading ») vont inonder votre écran à tout bout de champs.

Sur un seul rail

Mis à part l'aspect esthétique, qu'est-ce qui caractérise un bon jeu d'aventure, d'après vous ? Un riche et dense scénario, de belles et multiples cinématiques, ou des puzzles et des énigmes à difficulté variable et progressive ? Dans mon idéal, l'association de tous ces ingrédients détermine la grande valeur d'un point'n click. The Longest Journey possédait de tels atouts dans son jeu, ce qui n'est malheureusement pas tout à fait le cas de son successeur.

Tornquist avait promis de sensiblement faire monter la pression par l'intermédiaire d'intervalles se voulant évasives. Les phases d'infiltration, par exemple, sont délicates à gérer en vue à la troisième personne dans les endroits où le champ de vision est limité. Dans d'autres tableaux, les refuges permettant de se dissimuler aux yeux de l'ennemi sont tellement bien balisés que passer inaperçu devient un jeu d'enfant. Par contre, les affrontements (au poing, au bâton ou au sabre suivant votre personnage) sont plus difficiles à maîtriser, faute aux options d'attaque et de défense limitées et imprécises. Fort heureusement, les combats sont tous évitables... ou presque. En fin de compte, ces deux apports pêchent par manque d'habileté et les techniques antédiluviennes utilisées n'apportent rien de bien excitant. Au contraire, à cause d'un gameplay peu intuitif lors de ces phases, irritation et lassitude s'insinuent au milieu d'un concept hybride imaginé pour être novateur. Loupé.

Kian exhibant sa musculature au milieu du Temple de la Déesse
Kian exhibant sa musculature
au milieu du Temple de la Déesse
Plus embêtant pour un jeu classé "aventure", les casse-tête de Dreamfall sont quasi inexistants. Et lorsqu'ils existent, ils s'évaporent aussitôt rencontrés, comme s'ils n'avaient jamais été. C'est bien simple, excepté trois séances redondantes de piratage électronique, deux misérables séquences d'ouverture de portes extra-terrestres et quelques miettes d'assemblages d'objets par-ci par-là, les brainstormers engagés par Tornquist ne se sont pas foulés les méninges afin de confronter les sens d'observation et de logique du joueur. Avec un niveau pareil de difficulté, les enfants de moins de dix ans seront à l'aise. Passé cet âge, je doute fort que quiconque ne rencontre de gros problèmes face aux maigres obstacles « offerts » - et le terme serait plus que pertinent s'il ne fallait pas débourser une cinquantaine d'euros pour profiter légalement de ce jeu - aux habitués du genre. Du début à la fin, la progression est donc immédiate. Pire... le jeu se résume trop souvent à contempler via - le bien pensé mais trop pratique - Focus Field (sorte de faisceau laser bleu symbolisant l'attention de votre personnage et qui balaye les décors pour dépister les détails environnementaux à remarquer) ou faire avancer son personnage du point A au point B, sans qu'aucune embûche particulière ou rencontre fortuite ne vienne freiner la pérégrination. Car c'est bien de cela dont il s'agit sur plus de 50% de l'aventure : se balader entre les animatiques (hé oui, les superbes cinématiques toutes en images de synthèses haute qualité du premier opus nesont plus de mises dans cette suite entièrement réalisée en 3D temps réel) de ce qui ressemble plus à un film interactif (et contemplatif ?) qu'à un jeu vidéo immersif.

Sortie de secours


Que reste-il alors pour justifier la bonne note attribuée à ce Dreamfall par la présente critique ? La nostalgie aurait-elle été plus forte que la déception ? Pas vraiment. Le plaisir de retrouver Apryl Ryan et la faune des mondes jumeaux ne suffit pas à expliquer mon choix. Je n'ai pas non plus cherché à tempérer mes impressions. Pour ma part c'est indéniable : la conception graphique, les problèmes à résoudre et le gameplay sont en dessous de The Longest Journey, qui s'impose en tant que référence du genre. Mais il serait incorrect de restreindre cette séquelle à son image lumineuse et artificielle car derrière l'apparence, l'histoire accroche sans problème l'attention du spectateur. Oh bien sûr, le scénario est moins lyrique que son prédécesseur. La fantaisie y occupe une place affaiblie (quoique, il est apparemment de coutume dans le jeu d'obtenir des produits de consommation ou de voyager aux quatre coins du monde sans débourser une seule piécette... fantaisiste, un peu quand même donc). La durée de vie est ridicule (entre 15 et 20 heures à tout casser). Pourtant, outre les défauts visuels et les faiblesses techniques, ce nouveau long voyage se révèle être plus complexe, mature, foisonnant et sensible que jamais. L'assemblage des différentes séquences, la distillation des secrets, la montée en puissance des émotions et le fait que trois personnages différents soient au centre d'une conspiration internationale (un peu classique mais superbement menée) font l'originalité et la puissance du soft. Les côtés sombres de l'histoire et le final déroutant chargé d'intensité font pencher également l'ensemble du bon côté de la balance. Mais si seulement tous ces personnages n'avaient pas été enfermés dans des costumes tridimensionnels trop étriqués et encadrés par des environnements chatoyants mais simplistes, les larmes auraient plus facilement jailli de mes mirettes à l'approche du dénouement. Bref, obsédant et rageant à la fois, avec plus de rigueurs ou de capitaux financiers, Dreamfall frôle de près le mot inoubliable de mon vocabulaire tout en demeurant un périple saisissant par la profondeur de ses mystères.