8.5/10Sherlock Holmes contre Jack l'éventreur - Test PC

/ Critique - écrit par hiddenplace, le 21/04/2012
Notre verdict : 8.5/10 - De Baker Street à Whitechapel (Fiche technique)

Tags : holmes sherlock jack eventreur contre whitechapel detective

La franchise Sherlock Holmes développée par Frogwares en jeux vidéo a déjà un répertoire foisonnant à son actif : déjà cinq opus sont sortis à ce jour depuis 2002. En attendant la sortie très attendue du prochain volet, Le testament de Sherlock Holmes, penchons-nous aujourd’hui sur la dernière aventure du héros d’Arthur Conan Doyle,  parue en 2009, l’opposant à un autre mythe qui lui est contemporain : Jack l’éventreur. Réunir deux grandes figures du Londres victorien, l’une fictive et l’autre historique, est à la fois la promesse d’une confrontation palpitante, mais aussi un pari bien risqué. Ce face à face s’est très souvent vu illustré, et notamment dans une bande dessinée, L’ultime défi de Sherlock Holmes. Si les crimes perpétrés par le tueur en série sont bel et bien réels et qu’ils ont inspirés nombres de fictions ou de retranscriptions tous supports confondus, le fameux détective reste un personnage de papier, lui aussi l’instigateur d’une pléiade d’œuvres très différentes. Parvenir à articuler des faits avérés autour d’une enquête menée par un avatar fictif sera donc l’enjeu de ce Sherlock Holmes contre Jack l’éventreur.  Notamment en croisant l’investigation avec l’une des multiples théories étayées depuis 1888, l’année sanglante où le tueur opéra.

Sherlock Holmes contre Jack l'éventreur - Test PC
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Tout commence donc le 31 août 1888, lorsqu’une prostituée est retrouvée assassinée dans une rue du quartier le plus défavorisé de Londres, Whitechapel. Le lendemain, le détective Sherlock Holmes et son acolyte le docteur Watson découvrent la sordide nouvelle, comme tous leurs concitoyens, dans le journal Le star. Intrigué par cette affaire, Holmes décide de mener son enquête directement sur les lieux du crime avec Watson, en parallèle des recherches infructueuses de la police locale, mais en faisant toutefois insidieusement appel à eux pour obtenir le maximum d’informations. Commence alors pour les deux personnages, mais aussi pour nous, joueurs, un périple fascinant non seulement dans les tréfonds de Whitechapel, mais aussi de l’esprit tourmenté d’un des plus célèbres tueurs en série existant à ce jour.

En partant du principe que celui que l’on surnomme depuis lors Jack l’éventreur (suite à une lettre de l’époque signée ainsi par l’autoproclamé coupable et pourtant jamais authentifiée), n’a jamais été démasqué, que peut-on attendre, dans un jeu d’aventure, de cette enquête historiquement sans résolution ? La première réponse réside dans l’ambition évidente du jeu : la reconstitution. Reconstitution des faits déjà, au plus près de la réalité, en fondant le récit sur de nombreuses archives et études des « ripperologues » (spécialistes de l’affaire « Jack the ripper ») : photos, témoignages réels, lettres, journaux… qui ont conduit à moult théories à l’époque et depuis lors. Ces documents se retrouvent directement cités voir complètement intégrés dans notre histoire, et font donc évoluer notre investigation dans une réelle quête de vérité. Reconstitution d’une  société ensuite : les délits perpétrés par le meurtrier ont eu un retentissement colossal dans les médias contemporains, car au-delà de l’horreur, ils ont permis de révéler au grand jour une réalité sordide qu’ignorait une grande partie de l’Angleterre : la misère indicible dans laquelle vivait toute la population de Whitechapel. Accompagner nos protagonistes dans les rues de l’East End de 1888 nous immerge donc dans les conditions de vie et l’atmosphère angoissante de cette période. Portrait d’un homme enfin : au fil de la progression, nous dévoilons pan par pan qui est (ou semblait être, puisqu’il ne s’agit que d’une théorie parmi tant d’autres) ce personnage insondable et ce qui a pu motiver ses crimes totalement dépourvus d’humanité. Outre l’aspect résolution d’énigmes, vous l’aurez compris, les développeurs de Frogwares ont cherché à créer une expérience authentique et immersive, nous donnant une vision fidèle du cadre sinistre où se déroule cette enquête. Mais rassurez-vous, pas de frustration en vue : le joueur n’œuvrera pas pour rien, puisque dans la réalité de notre jeu, Sherlock Holmes confondra bien un coupable, un coupable tout à fait plausible, d’ailleurs.

Sherlock Holmes contre Jack l'éventreur - Test PC
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Tout au long du jeu, nous suivons donc le détective et le docteur du 1er septembre au 9 novembre 1888, au fil des cinq meurtres avérés de Jack l’éventreur. En quoi allons-nous, joueurs, contribuer à percer le mystère ? En nous promenant de rues en rues, déjà, pour questionner les témoins, les habitants voisins des lieux de crimes, les policiers chargés de l’enquête et les journalistes qui relaient les informations. Nous avons la possibilité, en fonction des tâches, d’incarner soit Holmes soit Watson. Les dialogues ne laissent pas une grande place à l’improvisation et sont même plutôt très scriptés ; en revanche, ils sont toujours cruciaux pour la résolution d’une énigme ponctuelle, d’une quête annexe, ou de l’enquête principale. En dehors des nombreuses conversations qui sillonnent le jeu, nous pouvons ensuite ramasser quelques menus objets dispersés dans les divers tableaux… mais uniquement collectables quand le besoin est imminent. Les combinaisons d’objets sont assez rares, et elles sont souvent si évidentes qu’elles en deviennent anecdotiques. Certaines des babioles  servent aussi à amadouer un personnage, il faut juste bien inspecter les tableaux pour n’en oublier aucun. Si d’aventure il nous manque quelque chose, l’éternelle outil loupe faisant apparaître les zones interactives est notre sauveuse – mais honnêtement, on reste assez rarement bloqué à cause d’un objet, ils sont souvent très exposés. L’inventaire est disponible d’un simple clic droit vers un menu annexe.

Ce même menu rassemble par ailleurs les archives de tous les dialogues du jeu (très utiles et surtout très importants pour résoudre l’intrigue principale), les documents papier engrangés ça et là, et la carte de Londres qui permet de se déplacer rapidement d’un endroit à l’autre (très pratique aussi). On y trouve également trois onglets cruciaux qui apparaîtront progressivement au gré de nos découvertes. L’onglet « Déductions » permet, pour chaque meurtre, de répertorier et manipuler sur un tableau les indices recueillis sur les lieux du crime et d’après l’observation du corps (représenté de manière plus illustrative et symbolique que réaliste, rendant l’horreur plus soutenable… le dernier meurtre, celui de Mary Kelly qui est le plus monstrueux, est représenté à l’argile).  Au fur et à mesure, la juxtaposition des pistes nous permet de déduire certaines hypothèses sur l’assassin, que l’on confirmera ou infirmera tout au long du jeu. L’onglet « Conclusions » n’apparaît qu’après un certain temps, il nécessite d’avoir croisé les déductions respectives de plusieurs meurtres, et sert de fil conducteur à la trame globale. Enfin « Échelle de temps » est un élément astucieux qui servira la résolution d’une énigme capitale : dater le plus précisément possible certains des homicides (à la minute près !) pour découvrir le fonctionnement de Jack l’éventreur et plus tard parvenir à le localiser. Ces déductions, conclusions et reconstitutions de l’échelle du temps sont fondées sur la pure logique et l’observation attentive des moindres détails. En général, pas besoin de se retourner le cerveau pour en venir à bout, il faut juste être patient et méticuleux. Nous n’en dirons pas autant concernant les autres énigmes, celles qui sont souvent sans rapport direct avec l’enquête, mais qui permettent d’accéder aux étapes successives de celle-ci.

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On croise des mini-jeux de difficulté inégale. Certains sont particulièrement simples : reconstituer une canne ou choisir des couteaux selon une description précise, récupérer un aimant en faisant preuve de dextérité. D’autres demandent du bon sens, des bases raisonnables en calcul ou en logique, comme replacer les étiquettes sur une série de casiers en procédant par déduction. En revanche certains autres sont plutôt corsés, quand ils ne sont pas juste incompréhensibles : récupérer un médaillon dans un jeu des embouteillages revisité, retrouver les dates et les drapeaux de la guerre de Sécession (sans indice !!), ou encore une sorte de carré magique pas très clair, voire hasardeux, pour ouvrir une boîte. Ajoutons de nombreuses quêtes annexes inévitables (« Je vous donne votre indice si vous allez me chercher un truc chez Machin ») qui sont d’ailleurs tournées en dérision par Sherlock Holmes lui-même au bout d’un moment (le concierge de la pension ne va quand même pas pousser Mémé dans les orties, non mais !). Niveau richesse en actions et réflexion, le jeu est parfaitement dosé, et le degré de difficulté est abordable à la fois pour un amateur de point’n’click classique et pour un néophyte.  La maniabilité est intuitive et offre une prise en main au choix à la première ou à la troisième personne, à alterner en fonction des actions à accomplir. Quant à la durée de vie, elle plafonne entre 18 et 20 heures de jeu, à la fois haletantes et diversifiées, les créateurs ne se sont décidément pas moqués de nous.

Les personnages rencontrés sont raisonnablement nombreux, une douzaine interagissent directement avec nos héros et contribuent à l’avancée du jeu. Pendant ce temps, une kyrielle de pauvres hères vagabondent ou sont avachis dans les rues de Whitechapel, le plus souvent une bouteille à la main, histoire qu’il y ait un peu d’animation dans ce quartier qui fait déjà froid dans le dos. Généralement, les hommes vous enverront promener (Sherlock Holmes et Watson ne sont ostensiblement pas du coin), tandis que les femmes vous proposeront de vous réchauffer pour une ou deux piécettes. Certes, c’est juste pour parler et rendre ces figurants un peu vivants, mais c’est aussi très représentatif de la triste réalité de ces ruelles à l’époque. La modélisation des personnages est plutôt honnête (nous sommes en 2009), surtout au niveau du visage et des mains, qui retranscrivent avec justesse la misère, la fatigue et la maladie qui surplombent cette population. Les personnages plus aisés, comme nos héros, présentent également des traits assez fins. Les corps sont animés avec un peu plus de maladresse, mais rien de dramatique. Une mention spéciale est en outre accordée au doublage de très grande qualité (en français pour ma part), les dialogues parfois assez longs sont en conséquence très agréables à écouter grâce à un jeu habité et convaincant (alors qu’habituellement, on trouve souvent les extrêmes dans les point’n’click : soit monotone à souhait, soit surjoué).

Sherlock Holmes contre Jack l'éventreur - Test PC
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Concernant l’ambiance du jeu, outre l’aspect sordide de l’intrigue déjà difficile à surpasser, l’autre grand facteur d’angoisse est bien entendu le décor. Whitechapel est reconstitué le plus fidèlement possible, documenté d’après les archives de l’époque, notamment les rues des cinq crimes qui sont reproduites au détail près. Les textures des bâtiments sont justes et colorisées avec soin… si on ne s’approche pas trop quand même. La rareté des lampadaires, soit le plus gros souci de ce quartier autrefois, crée cette semi-obscurité constante et rend les promenades nocturnes particulièrement oppressantes… alors que rien ne peut jamais nous arriver si ce n’est pas écrit (on n’est pas dans Silent Hill, non plus). L’atmosphère poisseuse, glauque et insécurisante de Whitechapel nous écrase donc tout au long du jeu comme une chape de plomb au dessus de nos têtes. Autre grand ressort dramatique : une musique très efficace et surtout particulièrement agréable. Des mélodies souvent au violon, qui changent donc en fonction du lieu et de l’heure (la nuit forcément, les cordes sont plus tendues) . Elles contribuent à électriser l’atmosphère du quartier ou à la détendre lorsqu’on rentre à Baker Street, notamment. Et pari réussi : elles parviennent même à se faire oublier au profit de nos émotions.

Sherlock Holmes contre Jack l’éventreur est donc un jeu d’aventure palpitant, savamment rythmé en réflexion et actions à accomplir, et parfaitement immersif. Réunir les deux mythes de l’époque victorienne était un challenge délicat. On peut dire que les développeurs de Frogwares rendent justice à ce face à face déjà maintes fois mis en scène, et offre un jeu à la hauteur des grands noms du point’n’click. Ils permettent aussi aux non-connaisseurs de se pencher sur une époque, un sinistre phénomène historique et un personnage littéraire très intéressant… peut-être est-ce même le début d’une nouvelle aventure pour eux ?