7.5/10Cowboy Bebop the Movie - OST

/ Critique - écrit par orioto, le 02/10/2003
Notre verdict : 7.5/10 - Even cowboys got the blues (Fiche technique)

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Voici ce qui sera sans doute, du fait de la sortie du film dans notre contrée aride d'animation japonaise, le premier soundtrack de Yoko Kanno à toucher un public plus conséquent. Future Blues n'est pas encore à ma connaissance prévu pour une sortie officielle sur notre territoire, mais les Fnac et autres Virgin ne seront pas surprises si vous réclamez une galette importée de la dame Kanno car elles doivent y être déjà habituées. Il suffirait d'ailleurs que les demandes se fassent un peu plus nombreuses pour qu'un petit espace lui soit réservé, il faudra y penser bien fort. Kanno est tout de même un phénomène musical probablement unique dans l'histoire du plus noble des arts, elle mérite au moins son nom sur une étiquette. Pour ce qui est des achats sur Internet, il ne sera pas bien compliqué de trouver son bonheur sur des sites pratiquant l'importation. Mais me voilà déjà en train de vous pousser à l'achat alors que vous ne savez peut-être même pas encore de quoi je parle.

Présentons Yoko Kanno brièvement sans passer pas les sempiternelles habitudes biographiques. La petite dame est, pour faire simple, peu commune. Elle gigote plus qu'un chaton aux prises avec une pelote de laine et finira par concurrencer très sérieusement Eunice Barber à force de danser et de jouer du piano avec l'énergie d'un diablotin infernal. Elle se fait volontiers double, non triple en réalité si l'on compte ses variations vestimentaires. Il y a la Yoko folle, en chapeau de paille et robe ensoleillée qui ne dépareilleraient pas dans le générique de la petite maison dans la prairie. Il y a la Gabriela Robin qui chante comme une diva de l'ère cybernétique et que personne n'a jamais vue, si ce n'est peut-être, sous forme animée mais c'est une autre histoire, un transfert sans doute. Puis il y a la Kanno qui écrit son nom en caractères chinois, monacale, sensible, à la robe en dentelle noir éclairée partiellement par une fenêtre céleste, la plus rare en fait, la plus insaisissable probablement, la vraie sans doute.

Je parle un peu longuement du personnage, mais comprenez moi, la musique de YK est YK, et vice et versa. La meilleure description de son style tient dans la compréhension de sa complexité. La donzelle est capricieuse, coquette, d'apparence immature, fragile, ambitieuse, tellement ambitieuse, torturée et talentueuse, non, géniale. Pas géniale dans le sens de super, géniale dans le sens d'habitée par le génie, définitivement et sans le moindre doute. Son style ?
Pour faire simple : une assimilation et une appropriation sans commune mesure de tout genre musical, de tout continent, de toute époque pour une régurgitation à la sensibilité inouïe de puissance et de richesse thématique.

Future Blues est-il une bonne illustration de cet état de fait ?
Certes l'album est plus bruyant, peut-être moins rigoureux ou plus chaotique, moins homogène, mais il ne peut, comme toute oeuvre de Kanno, s'en dissocier totalement. Bien sûr, la lumière du compositeur éclaire invariablement nos oreilles épanouies au détour de quelques chefs-d'oeuvre impérissables. Bien sûr, même en manque d'inspiration, la femme blasée par son manque de reconnaissance nous perce le tympan d'une fulgurance auditive incomparable. Bien sûr qu'une Kanno en petite forme est la définition exacte de la relativité tant elle dépasse de mille monts les moyennes ambitions de la musique de film et même de la variété internationale. Venons en aux faits.

Il est donc question ici de deux CD différents, dont un maxi composé de cinq chansons associées aux personnages du film. Future Blues est l'OST normal et Ask DNA, titre de la chanson d'intro du film, est le maxi.

Future Blues est extraordinairement bordélique dans son contenu. Il alterne, dans le désordre, jazz, rock, techno, musiques minimalistes, curiosités locales (ici le Maroc où l'équipe du film s'est rendue pour des repérages), Soul pétaradante, fantaisie intimiste... Il est certain que l'écoute d'un album de Yoko Kanno en générale et plus particulièrement de celui-ci ne se prête que difficilement à une écoute reposée sur les bases d'une ambiance homogène et monotone comme la plupart des soundtracks. De ce point de vue, l'OST de Cowboy Bebop : knocking on heaven's door est disons... inconfortable. Un tel CD se prête plus à une écoute sélective, ludique, impliquée comme peut l'être celle d'un audiophile à l'affût de la moindre trouvaille sonore ou spatiale.

Il passe ainsi clairement d'un univers à un autre autant de fois que possible, comme pour ne pas se laisser capturer par un auditeur trop obtus. Quelques morceaux sont indéniablement bruyants, voire agressifs comme 7 Minutes ou Pushing the Sky qui usent d'un rock aussi rythmé que détonant. N'oublions pas que le film est un thriller. Cela n'empêche d'ailleurs pas ces deux morceaux d'offrir une ligne mélodique brillante et une réelle richesse dans la construction. Dans le registre « ne pas oublier de baisser le son avant », Yo Punmpkin Head représente également un très intéressant écart, sur fond de foule de stade déjantée et de slogans festifs.

Cependant dans ce CD, le rock n'a pas pour fonction que nous tenir éveillés puisque quatre chansons splendides y figurent sans rougir. Si Diggin' ne dépasse pas le rang de ballade entraînante et enjouée, Butterfly, No Reply et Gotta Knock a Little Harder peuvent sans problème se hisser au statut de classiques. No reply est un rock ultra mélodieux aux accents symphoniques et épiques, dans la lignée des meilleures collaborations Kanno/Steve Conte. La voix de Conte y survole une nuée instrumentale d'émotions dans un crescendo final qui ne peut laisser indifférent. Gotta knock a Little Harder est quant à lui un chef-d'oeuvre, tout simplement. La voix divine de Mai Yamane qui retient sa fureur le temps d'une ballade syncopée sur coussins d'airs. Tout dans ce morceau tend à justifier la réputation de Kanno, de sa construction dramaturgique à la « direction » de ses interprètes. Tout ici concourt à dépasser l'ambition initiale d'un morceau de pop music ; à tendre vers un dialogue direct avec les nerfs de notre cerveau, comme si Kanno s'amusait avec nos émotions comme un chirurgien. Ca a l'air d'une simple chanson rythmée, mais ne nous y trompons pas, il s'agit bien là d'une sensibilité radicalement cinématographique. Butterfly enfin, pousse un chouïa plus loin la prouesse du précèdent. Il faut voir la façon dont la compositrice s'émancipe de toute convention musicale pour exprimer la beauté d'un sentiment inoubliable, la façon dont elle utilise les silences, les ralentissements, les timbres cristallins et la voix de l'interprète. C'est à une réelle expérience sensitive et émotionnelle que nous invite la Japonaise qui semble ne pas avoir appris la musique sur la même planète que nous.

Il y aussi les curiosités bien sûr, dans ce maelström bouillonnant. Elles vont de Time to Know~Be Waltz, hallucinante ballade à la frontière du jazz, de la comédie musicale des années 60 et... du rap sur un rythme ensorcelant, à 3.14, délire a capella de la doubleuse de ED se terminant en récitation d'un code barre. N'oublions pas Powder, descente aiguë aux enfers, Fingers, complainte obsédante mêlant rythmes tribaux, jazz, nappes synthétiques et coeurs chuchotants autours d'une mélodie dont Kanno a le secret depuis ses débuts dans les jeux vidéo.

Il serait dommage d'oublier de parler de jazz pour un album de Cowboy Bebop, même si celui-ci y laisse une place beaucoup moins importante que dans la série. Clutch rattrape le tout par son incroyable complexité. Il fait partie de ces morceaux que la petite Kanno étudiante travaille dans l'optique de faire aussi bien, et pourquoi pas mieux que ses professeurs. C'est ici des grands maîtres du jazz dont il est question, et l'audacieuse effrontée s'en sort avec les honneurs. Le morceau conjugue avec un brio invraisemblable chaos et richesse d'arrangement, usurpations de sonorités, entremêlements des timbres et des rythmes... Cinq minutes de démonstration, ni plus ni moins.

Dans un registre un peu différent, What Planet is This ? rend hommage à un genre bien particulier, et même selon moi à un groupe que j'affectionne tout particulièrement. Il s'agit de MFSB, formation musicale initiatrice du « philly sound » à la fin des années 70, habituée à reprendre de grands classiques soul avec la férocité féline d'un orchestre symphonique aux sonorités funky. Un son grandiose, des arrangements monstrueux, une basse omniprésente et pernicieuse, des paroles primaires et répétitives, tout se retrouve ici dans ce tribut tonitruant.

Un dernier mot sur les deux morceaux marocains du CD, interprétés par Hassan Bohmide. MUSAWE et No Money font une preuve éclatante de l'universalité de Yoko Kanno. Une mélodie très belle et simple y porte un contraste sublime, celui du jazz à consonance américaine et du folklorisme oriental. Le saxophone de Honda Masato y accompagne la voix humble de Bohmide avec une distance qui crée un espace de vie formidable.

Le CD se conclue par une track cachée : une interprétation alternative d'un grand classique de la série, Rain, rock lancinant sur fond d'orgue de barbarie, sublime, définitif... Cette version troque la voix de Steve Conte contre celle de Mai Yamane, mais elle perd malheureusement un passage le coeur qui faisait beaucoup pour le charme de l'originale.

Ask DNA se compose lui de cinq chansons. Nous passerons vite sur la version courte de What Planet is This. Ask DNA assure sans grand panache, mais avec efficacité son rôle d'ouverture du film sur fond de mélopée pop/soul très entraînante et festive. Cosmic Dare (Pretty with a Pistol) est quant à lui un rock très entraînant également, rythmé par un sample fantaisiste et ultra speed comme Kanno en a le secret.

Les deux derniers morceaux sont beaucoup plus intéressants. Le premier, Hamduche, reprend le contraste culturel de MUSAWE sur Future Blues en remplaçant le saxo par le piano, très justement interprété par Kanno herself. Le rythme en est très lent. C'est un morceau très calme et contemplatif.

Last but not least, un rock tout simplement anthologique à mon goût conclue le CD. Il ne faut pas entendre plus de quatre notes de l'intro au piano de Is It real pour se rendre compte que le chef-d'oeuvre est en marche. Probablement jamais je n'ai entendu une chanson si efficace dans son évocation émotionnelle. Une mélodie approchant la perfection par sa pureté et son mécanisme harmonieux et rythmique, un chanteur (Scott Matthew) à la voix aussi fragile que puissante, un environnement sonore invraisemblable de richesse (sons inversés, bruits sous-marins, choeurs fantomatiques...). Encore une fois, l'expérience sensitive et « narrative » est ici à un niveau inespéré.

Certaines musiques nous touchent, mais c'est ici la musique de Yoko Kanno qui est palpable.

PS : Si les musiques du film renferment des trésors, les trois OST de la série sont à conseiller définitivement, et en particulier la 1, centrée sur des morceaux de jazz divins et la 3, sorte de compilation de chansons anthologiques.