6/10Better Than Ezra

/ Critique - écrit par camite, le 31/08/2003
Notre verdict : 6/10 - Deluxe (1995) (Fiche technique)

Tags : than ezra better griffin jazz orleans album

Je n'ai jamais écrit sur la musique. Ah si, dans le journal de mon lycée. Et deux ou trois trucs dans un fanzine. Mouais. Tout ça pour dire que si je commence à avoir de l'expérience (enfin, un peu) dans le ciné ou les jeux vidéo, je n'ai jusque là pas franchement tâté de la critique musicale. Je me lance aujourd'hui, mais pas vraiment pour parler d'un nouveau disque. Je vais vous parler d'un groupe, pratiquement inconnu en France même. Dit comme ça, ça ne donne pas forcément très envie. Si vous restez, je vais vous raconter une belle histoire d'amour : celle qui me lie depuis huit ans à Better Than Ezra, l'un des meilleurs groupes pop rock actuellement en activité.

Pas le coup de foudre, mais...

1996. Comme souvent après le repas, je regarde Nulle Part Ailleurs encore présenté à l'époque par Philippe Gildas et Antoine De Caunes. En tout cas, le live conclut déjà le programme chaque soir. L'histoire va commencer sur une toute petite chose de rien du tout. En début d'émission, Gildas annonce le groupe du jour avec son inimitable anglais. Il demande à De Caunes : « Tu connais Better Than Ezra ? » ; De Caunes : « Oui, c'est un groupe de rock cajun qui vient de la Nouvelle-Orléans ».

Jusque là, rien d'anormal. Plus tard, après Les Guignols, Gildas à De Caunes : « Tu connais *Machin Chose* ? » (je ne me souviens plus de l'invité). Et là, l'Antoine, dans un des ses géniaux élans comiques, ressort EXACTEMENT sur le même ton de voix que plus tôt : « Oui, c'est un groupe de rock cajun qui vient de la Nouvelle-Orléans ». Dérisoire, je vous dis, mais cette vanne m'a marqué. Le fameux groupe arrive donc en fin d'émission et joue King of New Orleans. La chanson, bien qu'efficacement calibrée power pop, ne me subjugue pas plus que ça mais un détail retient mon attention : le leader sourit en chantant. Mais vraiment, pas juste pour placer un petit sourire en coin forcé. L'air de rien, la plupart des chanteurs tirent la tronche sur scène, comme si ça les emmerdait de s'en mettre plein les poches, parce que non tu comprends, quand même, cette pression, ces critiques venant de pauvres types dans les médias, trop l'enfer de la célébrité quoi...

Quelques jours plus tard, je reconnais l'album Friction, Baby dans les rayons d'un supermarché de la culture. Une belle pochette noir et blanc, classe et sobre... mais je n'achète pas. Et puis un beau jour, je retombe sur le disque dans les bacs d'un disquaire d'occasions. A trente balles ! Je me laisse tenter et ramène la galette dans ma platine. Première écoute : pas de quoi fouetter un chat. Par contre, le livret est super beau. Je réessaye, apprécie déjà plus. Troisième écoute fatidique, je décrète qu'il s'agit d'un bon disque que je réécouterai peut-être de temps en temps. Comme je me trompais...

J'ai parfois l'impression que quelque chose a placé Better Than Ezra sur mon chemin. Le destin, ou quelque chose dans ce genre. Les signes n'ont pas manqué.

Dans le contexte, forcément...

De passage chez un tout petit disquaire d'occases (un autre) condamné à la fermeture avant même d'ouvrir, j'avais remarqué un autre album de BTE, que je n'avais pas acheté. Fausse Alerte ? Quelques jours après, je m'envolais pour les Etats-Unis, en Nouvelle Angleterre. Parmi les différentes revues que j'avais achetées durant mon séjour, un numéro de Rolling Stone avec Bill Clinton en couverture (l'époque du Monicagate, ben ouais) et en bordure de page, une pub pour un nouvel album de... BTE. Hum, passe encore. Mais le coup fatal allait tomber.

De « passage » à Boston, je m'engouffre dans le Hard Rock Cafe du coin, pour le symbole. Sur les multiples écrans accrochés au mur, un groupe joue live. Je regarde quelques secondes jusqu'à affichage du nom en sous-titre... et là, devinez quoi ? A peine croyable : après traversée de l'océan atlantique en avion, déambulation dans Boston et tout le tralala, je me retrouve au Hard Rock Cafe au milieu de photos de Radiohead, Oasis, R.E.M., Smashing Pumpkins... et le groupe qui passe sur les écrans est Better Than Ezra.

Tranquillou, je me dis que je mettrai la main sur le nouvel album en rentrant en France. Sauf que l'album en question ne sortira jamais au pays de Jordy. Faute de mieux, je retourne voir mon brave disquaire qui ne vend pas un disque et achète le premier album de BTE qui n'a évidemment pas bougé d'un iota depuis ma dernière visite. Ravi de vendre enfin quelque chose, le disquaire me file plein d'autocollants de Air et autres artistes R'n'B dont je me fous un peu, mais sympa quand même, merci.

Deluxe, dans sa pochette rose un peu kitschoune, est sorti en 95 en autoprod puis chez Elektra (label de Warner). A la production : Dan Rothchild, plus connu pour ses lignes de basse chez Grant Lee Buffalo et Sheryl Crow. Kevin Griffin (voix, guitares, compositions) et Tom Drummond (basse) sont déjà là. A leurs côtés, le batteur Cary Bonnecaze qui laissera de suite après sa place à Travis Aaron McNabb sur Friction, Baby. A noter, pour la triste histoire, qu'un autre membre resté inconnu se suicida juste avant l'enregistrement de Deluxe.

Mon histoire d'amour commence probablement avec cet album, mineur mais doté d'une sacrée personnalité et d'un charme indéfinissable. Voix déjà intéressante, textes évocateurs et compositions simples mais variées tout au long du disque. A la fureur d'In the Blood succède les violons de The Killer Inside puis la guitare acoustique de Porcelain. Avant de repartir de plus belle avec le dernier morceau Coyote. Le single Good se chargera d'enchanter les radios indépendantes américaines.

On y vient

Convaincu par Deluxe, je ressors mon Friction, Baby et savoure. Comparativement, le son paraît énorme, la voix plus assurée et certaines chansons admirablement écrites : Hung the Moon et Desperatly Wanting notamment. L'album est produit par Don Gehman (Cock Robin, Tracy Chapman...) toujours chez Elektra.

Définitivement conquis, je me mets en tête de dénicher ce fameux troisième album. A l'époque, pas d'Internet à la maison, je prends donc mon stylo, mon anglais approximatif et l'adresse du fan club se trouvant dans le livret de Friction, Baby pour expliquer mon problème. Quelques semaines plus tard, grande enveloppe brune expédiée de la Nouvelle-Orléans dans ma boîte aux lettres. A l'intérieur : des autocollants (décidément) avec les logos du groupe et un petit carton gribouillé à la main me disant que je peux acheter le disque par correspondance. Signé : BTE. Tout excité, je vais échanger mes francs en dollars et comme prévu, mon Saint Graal arrive.

Pour How Does Your Garden Grow ?, Better Than Ezra a confié la production à Malcolm Burn, qui a oeuvré pour Oh Mercy de Bob Dylan, American Caesar d'Iggy Pop ou Gone Again de Patti Smith. Du lourd, et l'album de BTE ne laisse pas grand chose à redire de ce côté là. Beaucoup de chansons (14) parfois très différentes les unes des autres : électro pour Je ne m'en souviens pas, pop pour le single At the Stars, rock pour Like it like that, folk pour Allison Foley, punk sur Pull ou New Kind of Low ou encore apaisé sur Under You ou Waxing or Waning. Au point peut-être de sembler trop hétérogène. Cela dit, si le rapport Deluxe / Friction, Baby pouvait rappeler le diptyque Pablo Honey / The Bends de Radiohead, How does... ne rompt pas la logique entamée et peut évoquer OK Computer des mêmes en raison des nombreux bruitages et arrangements électroniques. L'identité du groupe reste cependant reconnaissable même si un copain à qui je faisais écouter l'album me soufflait que Kevin Griffin avait parfois tendance à imiter Bono de U2.

Tellement enthousiasmé par ce disque, je commence alors à l'offrir régulièrement aux gens de mon entourage qui ne semblent toutefois pas l'apprécier autant que moi. Peu importe : cela renforce même mon sentiment que ce groupe n'appartient qu'à moi. En France en tout cas.

Pour la vie ?

2001. L'odyssée de l'espace, certes. Mais aussi l'Internet chez moi. Better Than Ezra lance par le biais de son site artifakt, une compilation de 11 morceaux inédits. Anecdotique, malgré quelques jolies chansons (Tremble, Oh Corrina, Wintercoats). De quoi patienter avant le dernier album en date, Closer, qui sort la même année et, à la différence de ses prédécesseurs, sur le propre label du groupe : Ezra Dry Goods (distribué par Beyond/Universal). A la production, on trouve cette fois-ci le surpuissant Brad Wood (le premier Placebo, Adore des Smashing Pumpkins et les trois premiers Liz Phair) et Ethan Allen, déjà assistant sur Friction, Baby.

Closer commence sous les meilleures auspices, avec trois tubes en puissance certifiés arrangements nickel et un Kevin Griffin qui chante admirablement bien. La suite pourra sembler moins évidente malgré d'indéniables réussites. Une impression de déjà entendu sur la fin, peut-être. Notons pour le coup deux invités de marque : DJ Swamp, que tout le monde connaît au moins de nom, sur Extra Ordinary et Recognize, ainsi que Toddy Walters, qui prête sa voix au titre Rolling. Sa présence fait partie des petits détails qui me rendent Better Than Ezra éminemment sympathique par rapport à la concurrence : Toddy Walters est une « chanteuse actrice » entendue dans South Park (elle doublait même Winona Ryder dans le film) et vue dans les films Cannibal ! The Musical et Captain Orgazmo des mêmes Trey Parker et Matt Stone. Inutile d'ajouter que Closer n'a pas trouvé de distributeur pour la France...

Aux Etats-Unis, BTE jouit d'une certaine côte de popularité grâce aux tournées marathon qu'ils livrent régulièrement depuis plusieurs années. Un DVD live est d'ailleurs prévu et le groupe n'en travaille pas moins sur un nouvel album studio. Pour nous autres pauvres auditeurs de Jean-Pascal et des Whatfor, le seul moyen de suivre le groupe reste leur site Internet ou les serveurs d'échanges de mp3.

Si cet article contribue à faire ne serait-ce qu'un seul nouveau fan frenchy de Better Than Ezra, j'aurais en quelque sorte terminé mon (agréable) chemin de croix. En attendant : « Singing out loud when the sun came up ».