9/10Wasteland 2, l’ancêtre du RPG post-apo renaît de ses cendres

/ Critique - écrit par Guillom, le 23/10/2014
Notre verdict : 9/10 - Retour aux sources (Fiche technique)

Après de longues années d’attente, il est là, de retour, plus fort, plus beau, plus grand. Wasteland 2 ! Le vieux géant du post-apo revient sur la scène vidéoludique, pour le plus grand plaisir des fans, et des autres aussi.

Pour les petits nouveaux, Wasteland est un jeu mythique, papa des Fallout. On y incarne un groupe de Desert Rangers (mieux que les Texas Rangers) dans une Amérique dévastée dans une aventure riche et hardcore. C’était il y a plus de trente ans.


When the eyes of the Ranger...

Pour mieux comprendre Wasteland 2, il est nécessaire de faire un petit voyage dans le temps. Tout commença en 1983, quand Brian Fargo, jeune concepteur de jeux vidéo, fonde Interplay Entertainment. L’histoire de l’entreprise débute par le développement de jeux à succès pour le compte d’Electronic Art. Je parle bien sûr des mythiques The Bard's Tale (1985) et Wasteland (1988). Mais bosser pour le compte d’un éditeur ne rapporte pas suffisamment : l’entreprise de Brian Fargo se lance à la fin des années 80 dans l’édition, avec des monstres sacrés tels que Fallout 1 et 2 (avec Black Isle Studio au développement), Planescape Tourment ou encore Baldur’s Gate… Et c’est là que les ennuis commencèrent. Bioware, développeur de Baldur’s Gate, claque la porte, réclamant quelques millions de dollars de royalties pour le jeu de rôle. Entre 90 et 2000, Interplay encaissent coup sur coup? déficit financier et défection de son personnel. À tel point qu'en 2002, l’éditeur est contraint de signer un accord avec Universal pour pouvoir continuer à publier ses  jeux. Brian Fargo démissionne et s’en va fonder de son côté inXile tandis qu’un grand nombre d’employés, notamment les développeurs de Black Isle, quittent le navire. Cinq d’entre eux lancent Obsidian Entertainment, studio auquel on doit Neverwinter Nights 2 ou encore Fallout New Vegas.


Brian Fargo (aujourd'hui).

24 ans après la sortie de Wasteland, Brian Fargo annonce son intention de développer une suite au père spirituel des Fallout. Le patron d’inXile a toujours voulu développer un Wasteland 2, mais faute de fonds et de licence, ce projet lui a longtemps été inaccessible. Passons sur le dénouement des démêlés juridiques avec EA pour obtenir le nom Wasteland, toujours est-il qu’en 2012, Fargo lance une campagne sur Kickstarter pour financer ladite sequel. En effet, Fargo sait que les éditeurs sont très méchants et que le public, lui, est très gentil (et ne pose pas de problème de droits ou de retour sur investissement). Et il a surtout remarqué le succès de Doublefine, le studio de Tim Schafer, sur Kickstarter (pour une demande initiale de 400 000 dollars, le studio a reçu plus de 3 millions de dons*). inXile demandait 900 000 dollars aux backers, il a empoché au final plus de 3 millions. L’équipe a revu ses ambitions à la hausse, proposant désormais un monde plus étendu, plus de PNJ, la participation d’Obsidian Entertainment… Deux ans plus tard, Wasteland 2 sort, et il nous revient d’en faire la critique.

Et si on parlait du jeu ?

Si la tendance aujourd’hui est au casual, Wasteland 2 tranche radicalement. À l’instar d’un Divinity : Original Sin, c’est un jeu hardcore, extrêmement complexe. Vous voilà prévenus ! Alors, au moment de la création des persos, ne réfléchissez pas comme on le ferait pour un RPG lambda. Ces fameux points de Chance, réputés inutiles, autant les convertir : quoi de mieux qu’un Sniper pouvant tirer à trois reprises en un seul tour, avec une précision et des dégâts maximaux. Et soudain, il s’enraye… une fois, deux fois… Et vous êtes morts. Chaque caractéristique a un rôle à jouer : en négliger une nuira fortement à votre succès. Regardez ces points de Charisme… Vous mourrez d’envie de les utiliser pour augmenter votre Intelligence ou votre Coordination. Fuyez pauvres fous, le Charisme ne sert pas, dans Wasteland 2, qu’à éviter des combats trop durs pour une équipe trop molle. La géopolitique des Terres Dévastées nécessitent une bonne dose de parlote, alors ne négligez rien.


Une soirée électorale dans les Terres Dévastées.

Bon, revenons-en un peu à nos persos. Vous devez constituer une équipe de quatre Rangers. Cette étape, parfois délaissée par les joueurs les plus fougueux, est CAPITALE. Chaque compétence est très coûteuse, il est donc indispensable que les différents membres de votre équipe se complètent. Vous êtes évidemment libre de faire autrement, de ne miser que sur la force brute, ou sur les armes de précision… Mais vous risquez de vite ressentir un certain malaise… surtout lorsque vous devrez partager les rares munitions, en les divisant par quatre. Ou que votre équipe malmenée et ensanglantée regrettera d’avoir choisi un tank plutôt qu’un médecin. Prenez du temps sur vos fiches de persos, réfléchissez aux meilleures combinaisons possibles, optimisez vos choix de compétences. Une fois cette étape achevée, bienvenue en Arizona !

Votre quatre persos sont de nouvelles recrues des prestigieux mais décadents Rangers du Désert. Vous débarquez en plein enterrement : un des gardiens de la paix post-apo a été assassiné, à vous d’accomplir sa mission, de retrouver et de châtier ses meurtriers.

Walter Desert Ranger

Le gameplay se divise en deux parties distinctes. D’abord les déplacements d’un lieu à l’autre, via la carte. Ce n’est pas forcément trépidant, votre objectif ici est d’aller (littéralement) d’un point A à un point B en évitant les radiations et en prenant garde au niveau de vos provisions en eau. Parfois, une rencontre aléatoire ponctuera ces phases sans grand intérêt : attaques de raiders ou de dangereux animaux mutants, commerce avec un vendeur ambulant… Les mécaniques sont similaires à celles des anciens Fallout. Dans un deuxième temps, lorsqu’on atteint une ville ou qu’une rencontre aléatoire se produit, on se focalise uniquement sur l’endroit. C’est le mode « mission-combat-exploration-discussion », le cœur même du jeu. Et le moment d’utiliser ses précieuses compétences.

Et de la baston, il va y en avoir. Des hordes d’ennemis vous attendent. Des raiders très très méchants, des animaux un peu mutants, des lézards vraiment géants, des robots pas très vivants… Les combats se déroulent au tour par tour, système nécessaire pour gérer de façon tactique vos persos et leurs aptitudes, mais qui manque cruellement de dynamisme. Mon avis ne sera certainement pas partagé par tous les joueurs de Wasteland 2, mais je ne peux m’empêcher de trouver les phases de combat extrêmement lentes et ennuyeuses. Dès qu’on dépasse les quatre adversaires, un tour dure de longues minutes. Et impossible d’y échapper. Et même en difficulté élevée, nos quatre persos ne meurent que rarement. Donc, les moments les plus intenses ont lieu lorsque votre arme s’enraye… Il y a bien quelques effets qui affectent en théorie vos personnages : empoisonnement, saignement, concussion, etc. Je dis bien en théorie puisque, en soixante heures de jeu, un unique perso (une gentille indigène ayant rejoint mon équipe sur le tard) fut victime d’une concussion. En fait, il est quasiment plus agréable de positionner son équipe pour être le plus efficace possible lors de la bataille à venir (zones surélevées, couverts, rue propice à un tir croisé…) que de combattre. C’est dommage, surtout vu la variété des ennemis et des environnements.


L'Arizona après la victoire de Cyber Palin aux présidentielles de 2035.

Heureusement, Wasteland 2 se rattrape sur les « à-côtés » traditionnels. Phases de dialogues et exploration, secondaires dans de nombreux RPG, font toute la qualité du jeu. Les conversations entre vos persos et les PNG ont été particulièrement travaillées. Elles reposent sur un système de mots clés, en lien avec les propos de votre interlocuteur ou quoi ce que ce soit qui puisse être utile à la discussion (une attaque contre un village, une invasion de zombis végétariens, un chien écrasé et que sais-je encore). Ainsi, un PNJ pourra vous donner de précieuses indications, une mission, voire vous dévoiler un tout nouveau pan du jeu que vous n’auriez pas connu sans lui avoir adressé la parole. Wasteland accorde une place majeure à la lecture (oui, la majorité des dialogues ne sont pas doublés), qui aura une grande importance. Tout ne passe pas par les mots, mais aussi par le langage corporel, qui peut être décrit dans votre carnet de note. Ainsi, une femme qui se tortille en se tenant le ventre et qui parle de champignons aura de grandes chances d’évoluer en femme-spore. Une balle dans la tête devrait régler rapidement le problème. Ai-je précisé que la plupart des PNJ « nommés » ont une « vraie » personnalité, qu’ils diffèrent les uns des autres ? Vous vous surprendrez à vous prendre d’affection pour quelques scripts, à vouloir les protéger quitte à menacer votre mission première et/ou votre survie. Vous en prendrez d’autres en grippe, ou vous les froisserez au cours d’une conversation et ils décideront de vous bouder… littéralement.


Une volée de chevrotine leur passera tout de même l'envie de bouder

Des Terres pas si Désolées

En ce qui concerne l’univers, sachez que les Terres Désolées sont vastes, très vastes. Les possibilités d’exploration sont très nombreuses, les décors variés, malgré le fait que vous soyez au beau milieu d’un désert. Zone urbaine, ruines, canyons… vous allez aimer vous perdre. Chaque lieu fourmille de détails, de caisses, de coffres et de bien d’autres surprises cachées. Vous passerez du temps sur chaque élément du décor et la caméra pivotera à vous en donner le tournis. Sauf que du temps, vous n’en avez pas. Certaines missions sont chronométrées, mais ça, on ne vous le dit pas. Ce n’est que quand la pression commencera à faire céder les tuyaux que vous comprendrez (trop tard) qu’il aurait mieux valu remettre l’exploration à plus tard et ouvrir immédiatement les vanne de la station de pompage. Oui, Wasteland 2 est retors, vicieux, il vous laissera souvent seul(e)  et paumé(e), sans indice et sans aide. Mais c’est bien ça que vous vouliez en l’achetant non ?

Cet univers, justement, évoluera en fonction de vos actions, ou de votre inaction. Vos choix auront un impact sur la physionomie des Terres Dévastées, sur ses communautés et leurs habitudes. Une décision prise en début de partie pourra provoquer une catastrophe des heures plus tard, les habitants se souviendront de vous et de vos actes. Le monde continue à évoluer alors que vous accomplissez une mission dans un lieu précis, les jours passent, des gens meurent, des nuages de radiations se déplacent... En outre, chaque choix à ses conséquences, désirées ou non. On ne peut pas vraiment parler d’un système de karma ou de réputation, celui-ci n’étant pas explicite, mais vos contemporains entendront parler de vos exploits et de vos méfaits (le Courier du Mojave sans doute) et réagiront en conséquence. Néanmoins, ne vous attendez pas à des bouleversements géopolitiques majeurs, vos actions n’ont d’effet qu’à petite échelle. Sacrifier la source de nourriture du Wasteland pour sauver sa source d’eau n’influe en rien sur le monde ou sur le gameplay. Par chance, les scripts tiennent la route, ce qui permet aux Terres Désolées de conserver une cohérence rarement égalée.


"C'est trop calme" annonce le texte... Sans blague !

Bon, après avoir jeté un bref coup d’œil sur la liste de choses merveilleuses à dire sur Wasteland 2, je m’aperçois que je risque de vous retenir toute la nuit, et de fait de vous priver de précieuses heures de jeu. Et pourtant les pépites sont nombreuses. Références geek à foison, humour grinçant, mods d’armes, problèmes de caméra, esthétique des persos, massacre de la veuve et de l’orphelin…

Le plus grand reproche que je ferai à Wasteland 2 est qu’il n’a pas réussi à sortir des chemins explorés 20 ans auparavant par le premier opus et par la série des Fallout. Bon, cela s’explique facilement : on a aux commandes les mêmes personnes qui ont conçu et développé les deux jeux précités. Mais ils auraient pu s’en affranchir un minimum et proposer de nouvelles mécaniques de jeu. Ce titre ne renouvelle en rien le genre RPG post-apocalyptique. Il l’améliore, y apporte les forces de ce qui se faisait auparavant tout en le purgeant de leurs défauts. Certains y verront du fan service destiné aux nostalgiques qui attendaient une suite depuis 1988. Ce que Brian Fargo avait promis, ni plus, ni moins. En conséquence, les habitués des productions Interplay auront un goût de déjà-vu. Néanmoins, cela n’enlèvera rien au plaisir d’y jouer car, en vérité, Wasteland 2 est une pépite d’or**.

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*Renommé depuis Broken Age, le jeu sortira finalement en deux volets, parce que finalement, ce n’était pas assez d’argent, ou plutôt que l’équipe a tout dépensé en coke et en services divers et variés… D’où l’agréable surnom donné au jeu par les fans déçus : Broken Promise.

** Enfin, il l’est après une trentaine d’heures de jeu. Wasteland 2 est assez longuet au début, voire carrément poussif. ATTENTION SPOILER : le jeu atteindra vraiment l’intégralité de son potentiel quand vous quitterez l’Arizona pour la Californie, ses villes et ses excentriques communautés.